Monday, December 7, 2020

Cours n°7 "Le Robinet de Brancusi" une nouvelle de SF à adapter en BD (partie 1)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Seasteading
https://www.rts.ch/info/sciences-tech/11596863-le-japon-veut-des-voitures-volantes-en-2023.html

Première partie

Le Robinet de Brancusi


Robin était assis au milieu du showroom désolé. Autour de lui, des robinets, des dizaines de robinets, plantés sur des présentoirs troués à cet effet. Des hauts, des courts, des anguleux, des courbés, des très fonctionnels, des dandys extravagants, des expérimentaux presque difformes, des robinets d’évier aux manches rétractables, des robinets de lavabo aux allures de vaisseaux spatiaux, des dorés prétentieux pour nouveaux riches, des finement ciselés pour adeptes de musique de chambre, du plus grossier au plus raffiné, des robinets pour tous les goûts.

Robin était parti à la conquête du marché de la robinetterie, il y a dix ans. Fort de sa formation d’ingénieur et de sa passion du design. Il avait monté sa boite et développé une gamme originale de robinets savamment conçus, qui lui avaient valu quelques prix de design. Il s’était fait remarquer en remportant deux années consécutives le Red Dot Award Design. Il avait d’abord cru trouver son public. Les deux modèles primés avaient commencé par cartonner. Il s’adressait à des sous-traitants implantés à Lugang pour la fabrication des robinets qu’il envoyait notamment sur le marché européen… Il se voyait déjà concurrencer Delabie et négocier avec Grohe le rachat de son business… Les ventes étaient parties en flèche dans les premier mois mais la courbe s’était subitement inversée. Il voyait les ventes de ses robinets retomber durablement. Une explication simple est que le marché du robinet était saturé à Taïwan et que la concurrence était trop rude en Europe. Il s’était fait bouffer sans bien comprendre ce qui lui arrivait… Son navire prenait l’eau et il lui fallait réagir rapidement s’il ne voulait pas tout perdre. Il devait vendre son entreprise avant qu’elle ne périclite totalement.

Mais il n’avait pas dit son dernier mot. Son plan était simple. Négocier honorablement la vente de sa boite. Louer ses services pour un salaire confortable et bénéficier de ce statut provisoire pour travailler sur un nouveau produit. Une idée en or lui était venue à l’esprit. Une idée à la Niels Bohr ! Un truc à graver son nom dans l’histoire des inventions qui ont sauvé l’humanité. Bon, n’exagérons rien, disons, une petite contribution, discrète, pratique, efficace, écologique et propre à le mettre en sécurité financière pour le restant de ses jours. Depuis qu’il l’avait en tête il ne pouvait pas s’en défaire. Il s’agissait de monter un boîtier Corona sur des robinets à usage privé. Idée pas si compliquée. Le procédé existait déjà à l’échelle industrielle. Il avait rencontré au cours d’un salon de la robinetterie haut de gamme à Salon de Provence une petite entreprise qui développait le procédé pour le secteur industriel. Il suffisait de l’adapter. Il mettrait à contribution ses contacts dans le monde de la robinetterie. C’était du 1 plus 1 égale 3. Émulsion numérique gagnant-gagnant. À l’heure du Covid, les gens signeraient sur le champ. L’épidémie avait fait des ravages partout dans le monde, à la ville comme à la campagne, dans les mégalopoles comme dans les petites villes de provinces, les individus étaient avides de solutions sanitaires. Haro sur le virus, à bas les bactéries, à mort les microbes !

Il s’agissait donc de commercialiser pour l’usage privé des robinets à ozone. Pardon, il faudrait dire plus exactement des robinets tri-oxygéné. Hé oui, l’ozone a mauvaise presse, il vaut mieux ne pas en faire un slogan. Ozone, on pense à la couche d’ozone, ça fait peur. Ozone, en plus en chinois, c’est 臭氧, l’oxygène qui pue. Oublions l’ozone, voulez-vous, et parlons tri-oxygène. Trois atomes d’oxygène, c’est tout de suite plus attrayant. Telles sont les exigences du marketing.

En quoi ça consiste ? C’est simple comme bonjour. L’eau est tout simplement ozonée. Dans l’eau on introduit de l’ozone sous forme de petites bulles dissoutes qui oxydent bactéries et virus et les tuent aussitôt. Comment ? Il suffit de créer l’ozone par une petite décharge électrique, une étincelle, un éclair de rien du tout. Ce surcroît d’énergie a pour effet de casser les liaisons des molécules d’air. L’O2 se transforme alors en O3, l’ozone, un gaz instable formé de molécules composées de 3 atomes d’oxygène, qui se recomposent ensuite presque aussitôt en O2. C’est un phénomène qu’on trouve partout. Dans la nature, un éclair peut produire ponctuellement de l’ozone. Dans une station de métro, les freins produisent des étincelles, même chose. C’est pour ça qu’il y a parfois momentanément cette odeur nauséabonde dans le métro.

Mais ce phénomène, on peut le contrôler. Le gaz, avant qu’il ne redevienne oxygène, on le fait passer dans un petit tube chargé électriquement. C’est le procédé du tube à décharge Corona. Corona, c’est le nom de l’inventeur, rien à voir avec le virus. On crée ainsi un plasma, en ionisant les molécules d’oxygène qui sont dans l’air, pour les casser. À la sortie du tube, on a créé artificiellement de l’ozone gazeux. Il suffit ensuite d’injecter ces molécules d’ozone dans l’eau au moyen d’un Venturi, pour créer une dépression, injecter et dissoudre les molécules de gaz dans l’eau… Et voilà le tour est joué ! Telle est la recette de l’ozonation.

À quoi ça sert donc, cette eau ozonée, politiquement renommée eau trioxygénée ? Les trois atomes d’oxygène qui composent la molécule d’ozone ne peuvent pas se stabiliser. Au contact des bactéries, elles vont oxyder la graisse de leur paroi et ainsi les détruire. Même chose avec les virus. Pour l’instant, aucun virus ni bactérie n’a résisté à ce procédé. Le fameux virus de la grippe. Cette saloperie de staphylocoque doré. Et bien sûr, le coronavirus. Tout le monde y passe. L’efficacité est totale. Vous imaginez l’utilisation qu’on peut en faire ! Il suffit de se passer les mains sous l’eau tri-oxygénée et c’en est fini des microbes. Vous imaginez la révolution dans les hôpitaux, dans les cabinets médicaux, dans les cliniques où on dépense des hectolitres de gel hydroalcoolique quotidiennement?! Mais ce n’est pas tout. Certains déjà l’utilisaient dans la restauration : dans les toilettes mais aussi pour désinfecter les fruits et les légumes. L’eau ozonée détruit non seulement les bactéries mais elle détruit également les pesticides ! On peut l’injecter dans l’eau des piscines. C’est plus efficace que le chlore. L’eau ozonée détruit aussi les odeurs ! Les salons de toilettage pour chiens étaient parmi les premiers utilisateurs. La ville de Paris traite son eau potable avec de l’ozone. On pourrait s’en servir dans les urinoirs. Or, cette technologie existait à l’échelle industrielle mais n’avait pas encore pénétré le marché des particuliers. Ça allait venir, mais quand ?

C’était bien ce marché que convoitait Robin en mettant au point un boîtier pour un robinet de particulier. L’obsession hygiéniste de la société avait été décuplée par l’expérience mondiale du coronavirus. Le procédé ne pouvait qu’emporter l’adhésion des foules. Il fallait surfer sur cette hantise généralisée du monde microbien. Et Robin, sur ses starting-blocks, était tendu et concentré comme un athlète au départ de la course. Il espérait que les vagues successives de coronavirus allaient le pousser sur des sommets, pour le bien-être de l’humanité et bien sûr, pour le sien.

Mais curieusement, il attendait, il attendait et rien ne se produisait. Les clients potentiels, les distributeurs, les agents R&D des grosses firmes du secteur de la robinetterie, l’ignoraient tout simplement. Il se répandait en mails. Les intéressés ne cherchaient même pas à dialoguer, à le rencontrer, à s’informer. Tous faisaient la sourde oreille. Ils ne manifestaient pas la moindre curiosité pour le produit. Il était atterré, tel un surfeur sur sa planche qui guette depuis le matin la moindre ondulation de l’océan et regarde avec désespoir l’or du soir qui tombe, condamné à la terre ferme, triviale, sans émotion. Il ne voyait que deux explications possibles. La première était un mécanisme affligeant : la réticence à l’innovation. Les habitudes des entreprises gérées par des grosses familles confortablement établies empêchaient d’investir aux marges du circuit et de prendre le moindre risque. Expliquer à ces entrepreneurs frileux qu’ils vont remplacer les savons et les gels hydroalcooliques par de l’eau est très contre-intuitif. C’est une idée géniale mais impensable parce que trop belle. La deuxième explication le rongeait profondément de l’intérieur mais c’était une hypothèse qu’il ne pouvait pas écarter. Il était tout simplement mauvais commercial. Ce sentiment d’échec le minait aussi sûrement que les molécules de tri-oxygène corrodaient à la longue les jointures des robinets et provoquaient des fuites préoccupantes. En réalité, c’était tout son être qui était menacé de fuir. Il ne fallait pas lâcher.

Ou plutôt si. Il fallait lâcher-prise et décompresser. Robin n’était pas particulièrement adepte de spiritualité. Il s’adonnait plus volontiers aux pratiques artistiques. Et quand il était contrarié, il prenait volontiers son carnet à dessin et, en guise de méditation, consacrait quelques heures à remplir son carnet de croquis. Croquis de robinets, robinets fantaisistes, érotiques, philosophiques, robinets loin de toute velléité de réalisation pratique. Mais au cours d’une de ces après-midis réconfortantes qu’il passait en compagnie d’un crayon et d’une gomme, à imaginer des formes aux dimensions démesurées, une idée saugrenue lui est venue à l’esprit. Il ressassait sans fin le paradoxe du robinet à ozone en se demandant comment faire réagir le milieu de la robinetterie. Fallait-il d’abord informer le monde, crier la nouvelle sur les toits, convoquer la presse, alerter les politiques... Comment faire pour remuer ciel et terre ? Un coup d’œil encore sur son carnet pour s’assurer que son idée ne s’était pas envolée. Elle lui semblait toujours aussi lumineuse. Il avait eu vent d’un appel à participation pour une biennale d’art contemporain qui allait se tenir en Espagne, à Madrid précisément. Pourquoi, en effet, ne pas participer ? Il se mit à la tâche avec enthousiasme, transforma en quelques après-midi de travail sur Indesign ses croquis en plans recto-normés, et les envoya accompagnés de recommandations à l’atelier de fonderie de Lugang avec lequel il avait l’habitude de travailler. Il avait fallu parlementer un peu car la commande était inhabituelle. Non pas tellement par sa forme, qui restait plausible, mais plutôt par ses dimensions. En effet, Robin avait en tête de présenter pour la biennale ni plus ni moins qu’une fontaine. Et cette fontaine était constituée d’une vasque avec en son centre un robinet élégamment stylisé, tout à fait reconnaissable, parfaitement proportionné, mais aux dimensions démesurées ! C’est ainsi qu’à la douzième biennale de Madrid d’art contemporain, Robin présenta une pièce qui fut très remarquée et très commentée. Elle jouissait d’une place de choix en plein cœur du Retiro et s’intitulait El grifo de Brancusi. La sculpture se présentait comme la première fontaine tri-oxygénée au monde ! Elle était accompagnée d’une notice expliquant la démarche esthétique et surtout le procédé technique révolutionnaire sous-jacent. Il faut avouer que peu de visiteurs prenaient vraiment la peine de la lire. Mais certains amusés s’étaient baignés dans la fontaine. Et la vasque géante s’était vite transformée en piscine. Le deuxième jour, un joggeur avait manifesté son antipathie en urinant dans la vasque. Même s’il n’avait été accompagné d’aucune odeur, son attentat avait fait fuir les baigneurs. Excepté ce petit scandale, la sculpture avait été largement appréciée. Elle avait eu très bonne presse. Plusieurs articles saluaient l’originalité et la portée symbolique et éthique d’une telle œuvre d’art. Un journaliste du Pais lui avait accordé un entretien et le quotidien lui avait même consacré une demi-page. Fort de ce petit succès, Robin aurait dû se réjouir. Mais le milieu de l’art contemporain touchait peu celui de la robinetterie, semble-t-il. Il renouvela plusieurs fois ses démarches auprès des entreprises susceptibles de développer son produit. Ses mails restèrent, à son grand désarroi, lettres mortes. Pour couronner le tout, il devait maintenant régler les frais de stockage de sa « fontaine ozonée » qui dormait paisiblement dans un entrepôt de la banlieue madrilène. De la confiture hightech à des cochons ibériques ! Voilà ce qu’il pensait.

« Bien tenté, Robin, tu as encore eu une super idée ! », ironisait-il sur lui-même, en se demandant comment on pouvait se mettre dans des situations pareilles. Pourtant une semaine peut-être après son retour à Taipei. Il reçut un mail intriguant. On cherchait à prendre contact avec l’ingénieur qui avait réalisé la fontaine tri-oxygénée baptisée El Grifo de Brancusi. On avait lu sa notice et on cherchait à en savoir plus. Il échangea quelques mails plus techniques qu’esthétiques cette fois. Et aux termes de l’échange, on lui proposait un rendez-vous sur Skype. Il s’agissait d’une communauté de scientifiques et d’ingénieurs, basée sur cinq anciennes plateformes pétrolières, réaménagées ou en cours d’aménagement, et située dans les eaux internationales au large du Japon. La communauté menait un projet expérimental qui consistait à créer la première cité cosmopolite libertarienne en haute mer en totale autonomie. Les ingénieurs cherchaient à optimiser leur station d’épuration et voulaient équiper l’ensemble du système d’alimentation en eau, avec des robinets comprenant des tubes à décharge Corona, système qu’ils jugeaient à la fois économique et efficace. Pour leur petite communauté, il s’agissait de réduire au maximum les risques épidémiologiques. Ils prenaient des précautions extrêmes et ne laissaient rien au hasard. Avant de passer un contrat, il faudrait d’abord visiter les installations et évaluer le coût des opérations. Une période de quarantaine lui serait imposée. Les frais de transports étaient couverts et le logement sur place entièrement pris en charge. Serait-il intéressé par une telle opération ? Et comment ! La semaine suivante, Robin prendrait un vol pour Okinawa. De là, il serait pris en charge et conduit directement sur la plateforme communautaire. D’ici là, il aurait le temps de se documenter sur ce qu’étaient ces étranges libertariens...

(à suivre)



Exercices de compréhension 

 

Lisez attentivement la première partie de la nouvelle "le robinet de Bracusi". 

Cherchez la définition du vocabulaire difficile. 

Cherchez également des images susceptibles d'illustrer les mots nouveaux et de facilité la compréhension. 

Où se situe l'histoire ?
Quand se situe l'histoire ? 
Qui sont les personnages principaux ? 

Quelles sont leurs caractéristiques ?

 


Exercice  de dessin : 

 

1 - Après avoir effectué ses recherches, faites des propositions de personnage.  

2 - Imaginez la série de robinets disposés dans le showroom de Robin Délaube. 

3 - À quoi pourrait ressembler "El Grifo de Brancusi" ? Imaginez une scène comprenant "El Grifo"


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