Monday, December 14, 2020

Cours n°10 Nouvelle SF à adapter (partie 4)

  

Ennouvellement SF

quatrième partie

Le rêve de la bidouille ou le cauchemar de la magouille


Le dilemme était pénible. Fallait-il toucher un salaire comme une honnête rémunération pour une mission dûment remplie ? Ou bien se laisser séduire par ce projet fou, abracadabrant, utopique ? S’il acceptait de s’engager et de devenir membre de la communauté des Arrangeurs, il devrait renoncer à son salaire. En échange, il passerait une sorte de contrat social qui lui permettrait de faire partie des Égaux, et il serait assuré de partager les mêmes droits, de bénéficier des mêmes libertés protégées, du même accès garanti aux Communs et de devenir propriétaire d’une parcelle sur une cité off-shore mais dont la valeur dépendait de la réussite hypothétique de ce projet libertarien. Prometteur. Novateur. Potentiellement dévastateur... Alors qu’il n’était encore qu’étudiant, il avait calculé qu’en visant un capital d’un million de dollars il pourrait tranquillement s’assurer, pour le restant de ses jours, une vie confortable. Sans excès certes, mais confortable. Ses tentatives jusqu’à présent n’avaient pas récolté le succès escompté. Alors après tout, le projet Arrangeurs ne serait-il pas une alternative à ce rêve de réussite personnelle ? Il lui restait du temps pour réfléchir – le chantier commençait à peine – mais à mesure que les jours passaient, il sentait une pression s’exercer sur lui insidieusement. Il avait fait naître une attente.

Rovel, l’ingénieur tchèque, lui avait rendu visite et lui avait annoncé qu’ils pourraient faire du bon boulot ensemble et qu’il pourrait facilement intégrer son équipe à la centrale à hydrogène sur Seaty 3. Entre le robinet tri-oxygéné et le moteur à hydrogène, les mécanismes chimiques sont voisins. La molécule de dihydrogène (H2) n’existe quasiment pas à l’état naturel. Il faut, comme pour l’ozone, la synthétiser pour pouvoir ensuite l’utiliser. Ça se fait assez facilement. L’élément hydrogène en lui-même est partout. C’est tout simplement l’élément le plus présent dans tous l’univers. On peut donc créer la molécule de dihydrogène à partir de l’eau.

- C’est l’eau de mer en ce qui nous concerne. On obtient le dihydrogène par électrolyse bien sûr. Il faut donc consommer de l’énergie pour le produire. Mais grâce à notre système hydro-éolien, non seulement on n’est jamais à court d’énergie pour faire fonctionner les centrales mais en plus, c’est de l’énergie verte. On ne rejette que de la vapeur d’eau. On ne sort jamais du cycle vertueux. Avec 1kg d’eau, on produit 110 gr d’hydrogène. Contrairement aux énergies fossiles, c’est un carburant écologique, non polluant et inépuisable ! Avec 1 kg de pétrole, on produit 46 mégajoules d’énergie, tandis qu’avec 1 kg d’hydrogène, on en produit 123. Soit presque 3 fois plus que le pétrole!

Il était là le tournant énergétique du siècle et c’était sur les Seaties qu’on en faisait la démonstration, avec une longueur d’avance sur toutes les grosses compagnies aériennes.

- J’ai bien vu que les E-cars sont alimentés par des piles à combustible hydrogène… Je serai curieux de voir dans le détail comment vous avez fait. C’est vrai que c’est révolutionnaire…

- Exactement ! C’est le bon mot. Le système est encore coûteux. On travaille à réduire le coût en remplaçant le platine par le nickel. C’est une question de mois. Vous êtes le bienvenu !

L’enthousiasme de Rovel était contagieux et Robin commença à prendre la mesure du chantier avec le même entrain. Il avait travaillé sur plan pendant les jours de quarantaine et maintenant prenait conscience de la réalité du terrain. Sur les Hautes-formes, tout était bricolé avec soin par des ingénieurs compétents, soucieux du travail bien fait. C’était du bricolage de haut niveau. La livraison des premiers lots de boîtiers Corona pour les cuisines et les sanitaires des communs ne devraient pas tarder. Il s’occuperait de l’équipement des logements privatifs dans la foulée. Les centrales d’épuration étaient une autre affaire. Il fallait redessiner les modèles… C’était à sa portée. Travailler sous les éviers, parmi les canalisations, entre tuyaux d’alimentation et d’évacuation, lui était familier. En portant son oreille contre la tuyauterie, il pouvait entendre facilement certaines conversations. Il n’avait aucun goût pour l’espionnage mais par inadvertance, il avait été témoin auriculaire d’une étrange conversation qui lui avait mis une petite puce à l’oreille. « D’après nos pronostics, en accroissant le QI de 150 % en moyenne, la prochaine génération d’Arrangeurs devrait faire des miracles ». Il avait bien entendu distinctement cette phrase. Qui avait bien pu prononcer une telle prédiction ? Une plaisanterie sans doute. Ou bien il avait rêvé. Et il s’efforça de l’oublier.

Maintenant qu’il était libre d’aller et venir à sa guise et qu’il n’était astreint à aucun horaire de travail, il pouvait à loisir prendre un E-car et faire un tour en mer, dans les airs ou sous les flots. Il osa proposer à Kim de l’accompagner dans une de ses flâneries sous-marines. Elle répondit favorablement à son invitation et emboîtant le pas à son désir, elle lui proposa de profiter de la promenade pour passer une après-midi de farniente sur un de ces atolls sympathiques dont il espérait profiter en sa compagnie. Quelle perspective alléchante ! Robin était aux anges. Ils prirent donc ensemble le large. Ils déposèrent l’E-car en amont d’une plage de sable blond… Kim avait pris palmes et fusils de pêche. Il lui avait fallu moins d’un quart d’heure pour revenir avec une carpe appétissante. Ils firent un petit feu pour faire griller le poisson. Une légère brise adoucissait le soleil et leur caressait la peau. Robin flirtait discrètement et Kim semblait bien disposée à son égard. Les pieds nus dans le sable fin, ils se rapprochèrent insensiblement. Il sentait le moment très proche où il pourrait l’embrasser. Kim Wu-se était hongkongaise d’origine. Sa famille avait émigré à Taïwan pour éviter les désagréments de la rétrocession et la perte progressive et inéluctable des libertés. Elle était depuis profondément attachée à la défense des libertés. Son engagement dans le projet libertarien des Arrangeurs-sities n’était pas sans rapport.

- Tu sais, le modèle de société que nous créons est destiné à être reproduit et à terme il devrait inclure toute l’humanité…

- Tu n’as pas peur au contraire de participer à la création d’une citadelle idéale réservée plutôt à une élite ?

Kim eut un léger mouvement de recul comme si elle était tout d’un coup sur ses gardes. Robin regrettait intérieurement ce scepticisme inutile.

- Notre projet est aussi éducatif. Nous prévoyons d’accueillir un quota de jeunes migrants dont les familles qui sont forcées à l’exil n’ont pas les moyens d’assurer leur survie, et encore moins un enseignement. C’est l’envers social du projet libertarien…

- Les candidats ne vont pas manquer malheureusement…

- Il faudra nécessairement choisir. C’est inévitable. Nous avons mis au point des tests. Ceux qui obtiennent les résultats escomptés seront formés par les meilleurs d’entre nous.

- Vous ne craignez pas le surpeuplement ?

- Nous avons un plan de contrôle de la démographie. Quand la communauté atteindra son apogée, comme une ruche sur le point d’essaimer, elle se dédoublera.

- Et une nouvelle génération d’Arrangeurs pourra voir le jour…

- Exactement ! En améliorant les membres de la communauté, on améliorera le système dans son ensemble. Ne trouves-tu pas que cela en vaut la peine ?

- Si, si, si, bien sûr… C’est une manière comme une autre de s’arranger avec l’idée de liberté… et avec l’idée d’égalité…

- Hé, que veux-tu dire ? Il se peut qu’il n’y ait pas d’autres lieux au monde où la liberté soit plus grande! Nous nous ne pouvons pas réformer l’humanité entière pour le moment. Mais nous pouvons assurer ce havre de liberté à une petite partie d’entre elle. Il faut être patient.

- Je veux dire que la liberté absolue n’existe pas. Pas plus ici qu’ailleurs. On est contraint de trouver un consensus avec le principe d’égalité, une formule plus ou moins équilibrée d’égaliberté.

- Ici, tout le monde est logé à la même enseigne ! À mon échelle, j’assure l’ouverture quasi-complète du système d’exploitation informatique. Nous utilisons le moins possible de systèmes fermés. Tous les membres de la communauté travaillent avec des logiciels open source. Tous les ordinateurs tournent sous Linux. Les codes sources de nos machines sont tous à disposition. Il n’y a ni contrôle, ni exploitation des données des utilisateurs inscrits dans le système. Pas de filtrage, d’hameçonnage, d’espionnage. J’assure bien sûr une maintenance si nécessaire et des cours de formation réguliers à destination des jeunes Arrangeurs intéressés par le codage pour assurer l’autonomie progressive des utilisateurs. Nous avons notre propre forum de discussion. Et tous les membres de la communauté participent à ce principe d’échange des savoirs… N’est-ce pas un exemple concret de gain de liberté ? Liberté, bricole et partage ! Que veux-tu de plus ?

La conversation qu’il avait entendue la veille lui était revenue alors à l’esprit. Une petite gêne s’était installée entre eux. Et quand un appel en provenance de l’E-car retentit, Robin éprouva comme un soulagement. Panne d’ordi au labo pharmaceutique, Kim était sollicitée… Ils finirent de manger en silence leur poisson grillé et leur salade de kombus puis levèrent l’ancre.

Depuis quelques temps, la tuyauterie des Seaties avait des fuites, des fuites d’informations pour être plus précis. Robin ne pouvait plus s’empêcher d’écouter aux tuyaux. Il pressentait que quelque chose se tramait. Les tuyaux d’évacuation des eaux usées plus larges que ceux d’alimentation faisaient caisse de résonance, c’est donc en plaquant son oreille tout contre qu’il auscultait les battements du cœur des hautes-formes. Les conversations étaient non surveillées, garanties par l’éthique libertarienne de Kim, si bien que les Arrangeurs ne prenaient guère de précaution et parlaient librement sans craindre ni micro, ni vidéo. Personne ne se doutait que depuis quelques temps leurs conversations étaient sur écoute. Robin prélevait des phrases qui, mises bout à bout, faisaient froid dans le dos.

« Ruka a été fécondée mi-octobre, Xiao Yu en novembre ». « Six mois après l’insémination, les embryons se portent bien ». « En tout 15 mères porteuses en parfaite santé ». « Aucune anomalie génétique ». « Nous poursuivons le programme ». « Cinq nourrissons sous couveuse réagissent bien aux stimulations cérébrales » « Le petit Aniel fait preuve de dispositions physiques étonnantes pour un petit de trois ans ». « Il est parfaitement ambidextre ». « Ses tests de QI sont excellents ». « Ça ne devrait pas tarder ». « Nous avions convenu 500 K par spécimen ». « Ce sont les termes du contrat ». « Si vous ne respectez pas vos engagements nous traiterons avec New Delhi ».

Qu’est-ce qu’on fabriquait ici ? C’était évident qu’il y avait de la magouille. Il en mettrait sa main à couper. Mais de quoi s’agissait-il exactement ? Quel genre de commerce douteux ? Les canalisations traversaient le centre de recherche médicale. Il comprenait un cabinet de consultation, une salle d’opération, une maternité. À l’étage inférieur, il y avait les labos de recherches : un labo pharmaceutique couplé à un labo de génétique et biologie cellulaire. Ils prétendaient travailler sur un programme de pharmacopée sous-marine mais en réalité Robin les soupçonnait de mettre au point une supercherie transhumaniste ! Quel rôle jouait Kim dans tout cela ? Il devait lui parler. Robin, ni une ni deux, s’élança. Il lui fallait en avoir le cœur net. Il prétexterait qu’il devait vérifier un boîtier à ozone. Il était déterminé à tirer l’affaire au clair. Il prit une boite à outils et emprunta les escaliers de service. Il tomba nez à nez avec Kim, en compagnie d’un des médecins chercheurs du bord. Il reconnut un des musiciens qui s’était illustré lors de la jam session d’intronisation.

- Ah, Robin. Je te présente Yi-se, alias Docteur Tang. C’est un Arrangeur de la première heure. Il a fait partie de l’équipe qui a installé le complexe médical. Tu l’as vu improviser aux percu un be-bop tonitruant.

- Oui… oui… je me... souviens… bonjour doc. Je voulais juste… te… tester mon système d’ozonation… dans les labos du service…

- Ah. Aujourd’hui, non, je crains que ce ne soit possible. Il y a des manips en cours. On ne vous attendait pas de si tôt. Mais… bien sûr… Ingénieux et efficace, votre procédé. On va arranger ça… Il faut simplement consulter le planning…

- Ok, doc. On remet à plus tard.

Robin fait un signe de la main pour s’éclipser. Hors de question pour lui de participer à un programme de manipulation génétique… ou pire de commerce clandestin d’être humain. Il fallait qu’il file d’ici. Faire ses bagages et quitter ce navire nauséabond avant qu’il ne soit associé malgré lui à ses activités criminelles. Il réfléchissait vite et prit une ferme décision au bord de la panique : décamper le soir même à la faveur de la nuit. Dès l’aube, Robin serait à l’aéroport d’Okinawa. Et prendrait le premier vol pour Taipei.

Au matin, on prévint Kim qu’il manquait un aéronef. Elle eut un vilain pressentiment et courut à l’appartement de Robin. Un mot lui était destiné. « Kim. J’aurais aimé mieux te connaître mais je ne pourrai pas m’arranger avec la philosophie des Libertariens. Je ne peux pas vénérer le dieu Bricole s’il manipule aussi le code génétique. Sous le rêve de la bidouille, il y a le cauchemar de la magouille. Sois prudente. Amitiés. R. ». Rovel l’appela au même instant. L’E-car manquant n’avait pas eu le temps de charger ses batteries. Il n’avait certainement pas pu gagner les côtes japonaises dans ces conditions. Robin avait coupé toute communication. Impossible de repérer son E-car. Les probabilités de le retrouver étaient minimes. Il avait dû se perdre en mer. Elle était triste. Robin aurait pu faire un bon compagnon. C’était déjà la deuxième recrue cette année qu’ils perdaient… La méthode de recrutement laissait à désirer. Il faudrait arranger ça.

Fin.


1 – Adaptez cette nouvelle en BD, à raison de 5 planches par chapitres.

2 – Soyez libre de changer le nom, le sexe des personnages.

3 – Traduisez enfin en chinois la version graphique.





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